Le théâtre du Peuple à Bussang dans les Vosges (dessin Pierre Richard-Willm)

"...Ce premier séjour, si rempli et si court à la fois, si enivrant, il ne m'est pas possible d'en évoquer les détails : ils empliraient un livre à eux seuls. Ce fut comme l'épanouissement subit d'un désir prisonnier, la fusée d'un rêve. Ce site si paisible, ce bout du monde (à l'époque), ces senteurs perpétuelles d'herbe et de sous-bois, cette "famille" que j'assimilai aussitôt, comme si tous ses membres, des ancêtres aux bébés, étaient "à moi" depuis toujours, et ce Théâtre, enfin !
Songe d'un poète, venu se poser là comme un beau papillon des forêts, si majestueux dans sa vaste et rustique simplicité, ses couleurs de vieux bois, ses sonorités de violoncelle, si parfaitement à l'aise dans son cadre de hauts sapins, songe devenu réalité : le théâtre du Peuple. Ce nom, ce titre, si loué par les uns (de Tolstoï, une lettre, respectueusement gardée - et regardée, au Foyer du Théâtre - dit son enthousiasme et ses encouragements), si mal compris par d'autres, ne dit que ce qu'il est : Théâtre pour Tous. Et ce ne fut pas une utopie ! Les poètes voient souvent plus juste qu'on ne pense. Depuis le jour de sa création, trois quarts de siècle jusqu'à hier encore, ce théâtre n'a regroupé que des bonnes volontés, désintéressées, anonymes et recrutées dans toutes les classes sociales, avec un naturel et une cordialité qui me surprennent et m'émeuvent encore, après tant d'années. De même pour ce public, si fidèle, si varié, ouvriers, cultivateurs, citadins et lettrés qui, dans la même joie, se côtoient et se sourient aux entractes, sous les ombrages du grand parc.
Maurice Pottecher âgé Le secret en est simple : le Padre (ainsi nous l'appelions dans les dernières années de sa longue vie) n'avait jamais fait appel qu'aux sentiments les plus nobles et les plus généreux de l'homme, que ce soit pour louer ou blâmer, pour pleurer ou pour rire. Car, loin d'être un "moralisateur", il n'aimait que toucher les coeurs, ou amuser les esprits de sa vigoureuse mais indulgente malice, toujours clair et accessible à tous. Le succès persistant de ses pièces - même celles datant de la fin du XIXe siècle - à notre époque si changeante, si avide de "jamais vu", montre assez la vitalité d'un art simple et direct qui se voulut toujours en dehors de la mode.

Pierre RICHARD-WILLM "Loin des étoiles" éditions Belfond©


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